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car en plus grand nombre que d’habitude, à cause du raid de zeppelins de l’avant-veille qui avait réveillé la vigilance des pouvoirs publics, il y avait des militaires jusque dans le ciel. Les aéroplanes que j’avais vus quelques heures plus tôt faire, comme des insectes, des taches brunes sur le soir bleu passaient maintenant dans la nuit qu’approfondissait encore l’extinction partielle des réverbères comme de lumineux brûlots. La plus grande impression de beauté que nous faisaient éprouver ces étoiles humaines et filantes était peut-être surtout de faire regarder le ciel vers lequel on lève peu les yeux d’habitude dans ce Paris dont, en 1914, j’avais vu la beauté presque sans défense attendre la menace de l’ennemi qui se rapprochait. Il y avait certes, maintenant comme alors, la splendeur antique inchangée d’une lune cruellement, mystérieusement sereine, qui versait aux monuments encore intacts l’inutile beauté de sa lumière, mais comme en 1914, et plus qu’en 1914, il y avait aussi autre chose, des lumières différentes et des feux intermittents, que soit de ces aéroplanes, soit des projecteurs de la Tour Eiffel on savait dirigés par une volonté intelligente, par une vigilance amie qui donnait ce même genre d’émotion, inspirait cette même sorte de reconnaissance et de calme que j’avais éprouvés dans la chambre de Saint-Loup, dans la cellule de ce cloître militaire où s’exerçaient, avant qu’ils consommassent un jour, sans une hésitation, en pleine jeunesse, leur sacrifice, tant de cœurs fervents et disciplinés.

Après le raid de l’avant-veille, où le ciel avait été plus mouvementé que la terre, il s’était calmé comme la mer après une tempête. Mais comme la