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elles ? Je ne le désire pas. Pour en revenir à la guerre elle-même, le premier qui l’a commencée est-il l’empereur Guillaume ? J’en doute fort. Et si c’est lui, qu’a-t-il fait autre chose que Napoléon par exemple, chose que moi je trouve abominable mais que je m’étonne de voir inspirer tant d’horreurs aux thuriféraires de Napoléon, aux gens qui, le jour de la déclaration de guerre, se sont écriés comme le général X. : « J’attendais ce jour-là depuis quarante ans. C’est le plus beau jour de ma vie. » Dieu sait si personne a protesté avec plus de force que moi quand on a fait dans la société une place disproportionnée aux nationalistes, aux militaires, quand tout ami des arts était accusé de s’occuper de choses funestes à la patrie, toute civilisation qui n’était pas belliqueuse étant délétère. C’est à peine si un homme du monde authentique comptait auprès d’un général. Une folle faillit me présenter à M. Syveton. Vous me direz que ce que je m’efforçais de maintenir n’était que les règles mondaines. Mais, malgré leur frivolité apparente, elles eussent peut-être empêché bien des excès. J’ai toujours honoré ceux qui défendent la grammaire, ou la logique. On se rend compte cinquante ans après qu’ils ont conjuré de grands périls. Or nos nationalistes sont les plus germanophobes, les plus jusqu’auboutistes des hommes... Mais après quinze ans leur philosophie a changé entièrement. En fait, ils poussent bien à la continuation de la guerre. Mais ce n’est que pour exterminer une race belliqueuse et par amour de la paix. Car une civilisation guerrière, ce qu’ils trouvaient si beau il y a quinze ans, leur fait horreur ; non seulement ils reprochent à la Prusse d’avoir fait prédominer chez elle l’élément