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par des baissements de voix, qu’on n’aurait pas voulu être entendu d’elle, reniait lâchement Brichot qu’elle égalait en réalité à Michelet. Elle donnait raison à Mme Verdurin, et pour terminer pourtant par quelque chose qui lui paraissait incontestable, disait : « Ce qu’on ne peut pas lui retirer, c’est que c’est bien écrit. — Vous trouvez ça bien écrit, vous ? disait Mme Verdurin, moi je trouve ça écrit comme par un cochon », audace qui faisait rire les gens du monde, d’autant plus que Mme Verdurin, effarouchée elle-même par le mot de cochon, l’avait prononcé en le chuchotant la main rabattue sur les lèvres. Sa rage contre Brichot croissait d’autant plus que celui-ci étalait naïvement la satisfaction de son succès, malgré les accès de mauvaise humeur que provoquait chez lui la censure, chaque fois que, comme il le disait avec son habitude d’employer les mots nouveaux pour montrer qu’il n’était pas trop universitaire, elle avait « caviardé » une partie de son article. Devant lui Mme Verdurin ne laissait pas trop voir, sauf par une maussaderie qui eût averti un homme plus perspicace, le peu de cas qu’elle faisait de ce qu’il écrivait. Elle lui reprocha seulement une fois d’écrire si souvent « je ». Et il avait, en effet, l’habitude de l’écrire continuellement, d’abord parce que, par habitude de professeur, il se servait constamment d’expressions comme « j’accorde que », « je veux bien que l’énorme développement des fronts nécessite », etc., mais surtout parce que, ancien antidreyfusard militant qui flairait la préparation germanique bien longtemps avant la guerre, il s’était trouvé écrire très souvent : « J’ai dénoncé dès 1897 » ; « j’ai signalé en 1901 » ; « j’ai averti dans ma petite brochure aujourd’hui rarissime (