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pendance et en ne consultant que l’intérêt national si elles doivent ou non sortir de la neutralité. Mais si ces premières déclarations de l’article (ce qu’on eût appelé autrefois l’exorde) sont si remarquables et désintéressées, le morceau suivant l’est généralement beaucoup moins. Toutefois, en continuant, dit en substance Norpois, « il est bien clair que seules tireront un bénéfice matériel de la lutte les nations qui se seront rangées du côté du Droit et de la Justice. On ne peut attendre que les alliés récompensent, en leur octroyant leurs territoires d’où s’élève depuis des siècles la plainte de leurs frères opprimés, les peuples qui, suivant la politique de moindre effort, n’auront pas mis leur épée au service des alliés ». Ce premier pas fait vers un conseil d’intervention, rien n’arrête plus Norpois, ce n’est plus seulement le principe mais l’époque de l’intervention sur lesquels il donne des conseils de moins en moins déguisés. « Certes, dit-il en faisant ce qu’il appellerait lui-même le bon apôtre, c’est à l’Italie, à la Roumanie seules de décider de l’heure opportune et de la forme sous laquelle il leur conviendra d’intervenir. Elles ne peuvent pourtant ignorer qu’à trop tergiverser elles risquent de laisser passer l’heure. Déjà les sabots des cavaliers russes font frémir la Germanie traquée d’une indicible épouvante. Il est bien évident que les peuples qui n’auront fait que voler au secours de la victoire, dont on voit déjà l’aube resplendissante, n’auront nullement droit à cette même récompense qu’ils peuvent encore en se hâtant, etc. » C’est comme au théâtre quand on dit : « Les dernières places qui restent ne tarderont pas à être enlevées. Avis aux retardataires. » Raisonnement d’autant plus stupide que Norpois le refait tous les six mois, et dit périodiquement à