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la rigueur que le sujet de ce verbe pût être un pays, par exemple chaque fois que Norpois dit : « L’Amérique ne saurait rester indifférente à ces violations répétées du droit », « La monarchie bicéphale ne saurait manquer de venir à résipiscence ». Il est clair que de telles phrases expriment les désirs de Norpois (comme les miens, comme les vôtres), mais enfin, là le verbe peut encore garder malgré tout son sens ancien, car un pays peut « savoir », l’Amérique peut « savoir », la monarchie « bicéphale » elle-même peut « savoir » (malgré l’éternel manque de psychologie), mais le doute n’est plus possible quand Norpois écrit : « Ces dévastations systématiques ne sauraient persuader aux neutres », « La région des lacs ne saurait manquer de tomber à bref délai aux mains des alliés », « Les résultats de ces élections neutralistes ne sauraient refléter l’opinion de la grande majorité du pays. » Or il est certain que ces dévastations, ces régions et ces résultats de votes sont des choses inanimées qui ne peuvent pas « savoir ». Par cette formule Norpois adresse simplement aux neutres l’injonction (à laquelle j’ai le regret de constater qu’ils ne semblent pas obéir) de sortir de la neutralité ou aux régions des lacs de ne plus appartenir aux « Boches » (M. de Charlus mettait à prononcer le mot « boche » le même genre de hardiesse que jadis dans le train de Balbec à parler des hommes dont le goût n’est pas pour les femmes). D’ailleurs, avez-vous remarqué avec quelles ruses Norpois a toujours commencé, dès 1914, ses articles aux neutres ? Il commence par déclarer que, certes, la France n’a pas à s’immiscer dans la politique de l’Italie ou de la Roumanie ou de la Bulgarie, etc. C’est à ces puissances seules qu’il convient de décider en toute indé