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faisait que Morel fût reçu comme l’enfant de la maison partout où étaient les Saint-Loup, à Paris, à Tansonville.

Françoise, qui avait déjà vu tout ce que M. de Charlus avait fait pour Jupien et tout ce que Robert de Saint-Loup faisait pour Morel, n’en concluait pas que c’était un trait qui reparaissait à certaines générations chez les Guermantes, mais plutôt — comme Legrandin aidait beaucoup Théodore — elle avait fini, elle personne si morale et si pleine de préjugés, par croire que c’était une coutume que son universalité rendait respectable. Elle disait toujours d’un jeune homme, que ce fût Morel ou Théodore : « Il a trouvé un Monsieur qui s’est toujours intéressé à lui et qui lui a bien aidé. » Et comme en pareil cas les protecteurs sont ceux qui aiment, qui souffrent, qui pardonnent, Françoise, entre eux et les mineurs qu’ils détournaient, n’hésitait pas à leur donner le beau rôle, à leur trouver « bien du cœur ». Elle blâmait sans hésiter Théodore qui avait joué bien des tours à Legrandin, et semblait pourtant ne pouvoir guère avoir de doutes sur la nature de leurs relations, car elle ajoutait : « Alors le petit a compris qu’il fallait y mettre du sien et y a dit : « Prenez-moi avec vous, je vous aimerai bien, je vous cajolerai bien », et ma foi ce Monsieur a tant de cœur que bien sûr que Théodore est sûr de trouver près de lui peut-être bien plus qu’il ne mérite, car c’est une tête brûlée, mais ce Monsieur est si bon que j’ai souvent dit à Jeannette (la fiancée de Théodore) : Petite, si jamais vous êtes dans la peine, allez vers ce Monsieur. Il coucherait plutôt par terre et vous donnerait son lit. Il a trop aimé le petit Théodore