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elle pour M. de Charlus une culture extraordinairement féconde de ces haines qui chez lui naissaient en un instant, avaient une durée très courte mais pendant laquelle il se fût livré à toutes les violences. En lisant les journaux, l’air de triomphe des chroniqueurs présentant chaque jour l’Allemagne à bas : « La Bête aux abois, réduite à l’impuissance », alors que le contraire n’était que trop vrai, l’enivrait de rage par leur sottise allègre et féroce. Les journaux étaient en partie rédigés à ce moment-là par des gens connus qui trouvaient là une manière de « reprendre du service », par des Brichot, par des Norpois, par des Legrandin. M. de Charlus rêvait de les rencontrer, de les accabler des plus amers sarcasmes. Toujours particulièrement instruit des tares sexuelles, il les connaissait chez quelques-uns qui, pensant qu’elles étaient ignorées chez eux, se complaisaient à les dénoncer chez les souverains des « Empires de proie », chez Wagner, etc. Il brûlait de se trouver face à face avec eux, de leur mettre le nez dans leur propre vice devant tout le monde et de laisser ces insulteurs d’un vaincu, déshonorés et pantelants. M. de Charlus enfin avait encore des raisons plus particulières d’être ce germanophile. L’une était qu’homme du monde, il avait beaucoup vécu parmi les gens du monde, parmi les gens honorables, parmi les hommes d’honneur, de ces gens qui ne serreront pas la main à une fripouille, il connaissait leur délicatesse et leur dureté ; il les savait insensibles aux larmes d’un homme qu’ils font chasser d’un cercle ou avec qui ils refusent de se battre, dût leur acte de « propreté morale » amener la mort de la mère de la brebis galeuse. Malgré lui, quelque admiration qu’il eût pour l’Angleterre, cette Angleterre