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tre regrettait-elle parfois d’avoir consommé avec M. de Charlus une rupture sur laquelle il n’y avait plus à revenir.

Mais si M. de Charlus et Mme Verdurin ne se fréquentaient plus, chacun — avec quelques petites différences sans grande importance — continuait, comme si rien n’avait changé, Mme Verdurin à recevoir, M. de Charlus à aller à ses plaisirs : par exemple, chez Mme Verdurin, Cottard assistait maintenant aux réceptions dans un uniforme de colonel de « l’île du Rêve », assez semblable à celui d’un amiral haïtien et sur le drap duquel un large ruban bleu ciel rappelait celui des « Enfants de Marie » ; quant à M. de Charlus, se trouvant dans une ville d’où les hommes déjà faits, qui avaient été jusqu’ici son goût, avaient disparu, il faisait comme certains Français, amateurs de femmes en France et vivant aux colonies : il avait, par nécessité d’abord, pris l’habitude et ensuite le goût des petits garçons.

Encore le premier de ces traits caractéristiques du salon Verdurin s’effaça-t-il assez vite, car Cottard mourut bientôt « face à l’ennemi », dirent les journaux, bien qu’il n’eût pas quitté Paris, mais se fût, en effet, surmené pour son âge, suivi bientôt par M. Verdurin, dont la mort chagrina une seule personne qui fut, le croirait-on, Elstir. J’avais pu étudier son œuvre à un point de vue en quelque sorte absolu. Mais lui, surtout au fur et à mesure qu’il vieillissait, la reliait superstitieusement à la société qui lui avait fourni ses modèles et, après s’être ainsi, par l’alchimie des impressions, transformée chez lui en œuvres d’art, lui avait donné son public, ses spectateurs. De plus en plus enclin à croire matériellement qu’une