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est à cause de cela seulement que je la rapporte ici. J’ai indiqué en son temps la manière si spéciale que Bergotte avait, quand il parlait, de choisir ses mots, de les prononcer. Morel, qui l’avait longtemps rencontré, avait fait de lui alors des « imitations », où il contrefaisait parfaitement sa voix, usant des mêmes mots qu’il eût pris. Or maintenant, Morel pour écrire transcrivait des conversations à la Bergotte, mais sans leur faire subir cette transposition qui en eût fait du Bergotte écrit. Peu de personnes ayant causé avec Bergotte, on ne reconnaissait pas le ton, qui différait du style. Cette fécondation orale est si rare que j’ai voulu la citer ici. Elle ne produit, d’ailleurs, que des fleurs stériles.

Morel qui était au bureau de la presse et dont personne ne connaissait la situation irrégulière affectait de trouver, son sang français bouillant dans ses veines comme le jus des raisins de Combray, que c’était peu de chose que d’être dans un bureau pendant la guerre et feignait de vouloir s’engager (alors qu’il n’avait qu’à rejoindre) pendant que Mme Verdurin faisait tout ce qu’elle pouvait pour lui persuader de rester à Paris. Certes, elle était indignée que M. de Cambremer, à son âge, fût dans un état-major, et de tout homme qui n’allait pas chez elle elle disait : « Où est-ce qu’il a encore trouvé le moyen de se cacher celui-là ? », et si on affirmait que celui-là était en première ligne depuis le premier jour, répondait sans scrupule de mentir ou peut-être par habitude de se tromper : « Mais pas du tout, il n’a pas bougé de Paris, il fait quelque chose d’à peu près aussi dangereux que de promener un ministre, c’est moi qui vous le dis, je vous en réponds, je le sais par quelqu’un qui l’a vu » ; mais