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leur essence. Ces Guermantes mêmes, qui avaient été pour moi l’objet d’un si grand rêve, quand je m’étais approché d’abord de l’un d’eux, m’étaient apparus sous l’aspect, l’une d’une vieille amie de grand’mère, l’autre d’un monsieur qui m’avait regardé d’un air si désagréable à midi dans les jardins du casino. (Car il y a entre nous et les êtres un liséré de contingences, comme j’avais compris, dans mes lectures de Combray, qu’il y en a un de perception et qui empêche la mise en contact absolue de la réalité et de l’esprit.) De sorte que ce n’était jamais qu’après coup, en les rapportant à un nom, que leur connaissance était devenue pour moi la connaissance des Guermantes. Mais peut-être cela même me rendait-il la vie plus poétique de penser que la race mystérieuse aux yeux perçants, au bec d’oiseau, la race rose, dorée, inapprochable, s’était trouvée si souvent, si naturellement, par l’effet de circonstances aveugles et différentes, s’offrir à ma contemplation, à mon commerce, même à mon intimité, au point que, quand j’avais voulu connaître Mlle de Stermaria ou faire faire des robes à Albertine, c’était, comme aux plus serviables de mes amis, à des Guermantes que je m’étais adressé. Certes, cela m’ennuyait d’aller chez eux autant que chez les autres gens du monde que j’avais connus ensuite. Même, pour la duchesse de Guermantes, comme pour certaines pages de Bergotte, son charme ne m’était visible qu’à distance et s’évanouissait quand j’étais près d’elle, car il résidait dans ma mémoire et dans mon imagination. Mais enfin, malgré tout, les Guermantes, comme Gilberte aussi, différaient des autres gens du monde en ce qu’ils plongeaient plus avant leurs racines dans un passé de ma vie où je rêvais davantage et croyais plus aux individus. Ce que je possédais avec ennui, en causant en ce moment avec l’une et avec l’autre, c’était du moins celles des imaginations de mon enfance que j’avais trouvées le plus belles et crues le plus inaccessibles, et