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était le fils de ce vieux valet de chambre qui m’avait fait connaître la dame en rose et permis, tant d’années après, de reconnaître en elle Mme Swann.

M. de Charlus recommença, au moment où, la musique finie, ses invités prirent congé de lui, la même erreur qu’à leur arrivée. Il ne leur demanda pas d’aller vers la Patronne, de l’associer, elle et son mari, à la reconnaissance qu’on lui témoignait. Ce fut un long défilé, mais un défilé devant le baron seul, et non même sans qu’il s’en rendît compte, car ainsi qu’il me le dit quelques minutes après : « La forme même de la manifestation artistique a revêtu ensuite un côté « sacristie » assez amusant. » On prolongeait même les remerciements par des propos différents qui permettaient de rester un instant de plus auprès du baron, pendant que ceux qui ne l’avaient pas encore félicité de la réussite de sa fête stagnaient, piétinaient. Plus d’un mari avait envie de s’en aller ; mais sa femme, snob bien que duchesse, protestait : « Non, non, quand nous devrions attendre une heure, il ne faut pas partir sans avoir remercié Palamède qui s’est donné tant de peine. Il n’y a que lui qui puisse à l’heure actuelle donner des fêtes pareilles. » Personne n’eût plus pensé à se faire présenter à Mme Verdurin qu’à l’ouvreuse d’un théâtre où une grande dame a, pour un soir, amené toute l’aristocratie. « Étiez-vous hier chez Éliane de Montmorency, mon cousin ? demandait Mme de Mortemart, désireuse de prolonger l’entretien. — Eh bien, mon Dieu non ; j’aime bien Éliane, mais je ne comprends pas le sens de ses invitations. Je suis un peu bouché sans doute », ajoutait-il avec un large sourire épanoui, cependant que Mme de Mortemart sentait qu’elle allait avoir la primeur d’une de « Palamède » comme elle en avait souvent d’« Oriane ». « J’ai bien reçu, il y a une quinzaine de jours, une carte de l’agréable Éliane. Au-dessus du nom contesté de Montmorency, il y