midi et qu’il avait fallu remplacer, déclarait pourtant qu’il le préférait à celui d’aujourd’hui. Certes, je comprenais bien que par « salon » Brichot entendait — comme le mot église ne signifie pas seulement l’édifice religieux mais la communauté des fidèles — non pas seulement l’entresol, mais les gens qui le fréquentaient, les plaisirs particuliers qu’ils venaient chercher là, et auxquels dans sa mémoire avaient donné leur forme ces canapés sur lesquels, quand on venait voir Mme Verdurin l’après-midi, on attendait qu’elle fût prête, cependant que les fleurs des marronniers, dehors, et sur la cheminée des œillets dans des vases, semblaient, dans une pensée de gracieuse sympathie pour le visiteur, que traduisait la souriante bienvenue de ces couleurs roses, épier fixement la venue tardive de la maîtresse de maison. Mais si le salon lui semblait supérieur à l’actuel, c’était peut-être parce que notre esprit est le vieux Protée, qui ne peut rester esclave d’aucune forme, et, même dans le domaine mondain, se dégage soudain d’un salon arrivé lentement et difficilement à son point de perfection pour préférer un salon moins brillant, comme les photographies « retouchées » qu’Odette avait fait faire chez Otto, où, élégante, elle était en grande robe princesse et ondulée par Lenthéric, ne plaisaient pas tant à Swann qu’une petite « carte album » faite à Nice, où, en capeline de drap, les cheveux mal arrangés dépassant un chapeau de paille brodé de pensées avec un nœud de velours noir, de vingt ans plus jeune (les femmes ayant généralement l’air d’autant plus vieux que les photographies sont plus anciennes), elle avait l’air d’une petite bonne qui aurait eu vingt ans de plus. Peut-être aussi avait-il plaisir à me vanter ce que je ne connaîtrais pas, à me montrer qu’il avait goûté des plaisirs que je ne pourrais pas avoir ? Il y réussissait, du reste, car rien qu’en citant les noms de
Page:Proust - La Prisonnière, tome 1.djvu/254
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.