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de bruit avant que j’eusse sonné. C’est Françoise qui lui imposa ces règles.

Elle était de ces domestiques de Combray sachant la valeur de leur maître et que le moins qu’elles peuvent est de lui faire rendre entièrement ce qu’elles jugent qui lui est dû. Quand un visiteur étranger donnait un pourboire à Françoise à partager avec la fille de cuisine, le donateur n’avait pas le temps d’avoir remis sa pièce que Françoise, avec une rapidité, une discrétion et une énergie égales, avait passé la leçon à la fille de cuisine qui venait remercier non pas à demi-mot, mais franchement, hautement, comme Françoise lui avait dit qu’il fallait le faire. Le curé de Combray n’était pas un génie, mais, lui aussi, savait ce qui se devait. Sous sa direction, la fille de cousins protestants de Mme Sazerat s’était convertie au catholicisme et la famille avait été parfaite pour lui : il fut question d’un mariage avec un noble de Méséglise. Les parents du jeune homme écrivirent, pour prendre des informations, une lettre assez dédaigneuse et où l’origine protestante était méprisée. Le curé de Combray répondit d’un tel ton que le noble de Méséglise, courbé et prosterné, écrivit une lettre bien différente, où il sollicitait comme la plus précieuse faveur de s’unir à la jeune fille.

Françoise n’eut pas de mérite à faire respecter mon sommeil par Albertine. Elle était imbue de la tradition. À un silence qu’elle garda, ou à la réponse péremptoire qu’elle fit à une proposition d’entrer chez moi ou de me faire demander quelque chose, qu’avait dû innocemment formuler Albertine, celle-ci comprit avec stupeur qu’elle se trouvait dans un monde étrange, aux coutumes inconnues, réglé par des lois de vivre qu’on ne pouvait songer à enfreindre. Elle avait déjà eu un premier pressentiment de cela à Balbec, mais, à Paris, n’essaya même pas de résister