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solidifié en denses feuillages sur lesquels la pluie peut s’égoutter sans compromettre la résistance de leur permanente joie, a hissé pour toute la saison, jusque dans les rues du village, aux murs des maisons et des jardins, ses pavillons de soie violette ou blanche. Assis dans le petit salon, où j’attendais l’heure du dîner en lisant, j’entendais l’eau dégoutter de nos marronniers, mais je savais que l’averse ne faisait que vernir leurs feuilles et qu’ils promettaient de demeurer là, comme des gages de l’été, toute la nuit pluvieuse, à assurer la continuité du beau temps ; qu’il avait beau pleuvoir, demain, au-dessus de la barrière blanche de Tansonville, onduleraient, aussi nombreuses, de petites feuilles en forme de cœur ; et c’est sans tristesse que j’apercevais le peuplier de la rue des Perchamps adresser à l’orage des supplications et des salutations désespérées ; c’est sans tristesse que j’entendais au fond du jardin les derniers roulements du tonnerre roucouler dans les lilas.

Si le temps était mauvais dès le matin, mes parents renonçaient à la promenade et je ne sortais pas. Mais je pris ensuite l’habitude d’aller, ces jours-là, marcher seul du côté de Méséglise-la-Vineuse, dans l’automne où nous dûmes venir à Combray pour la succession de ma tante Léonie, car elle était enfin morte, faisant triompher à la fois ceux qui prétendaient que son régime affaiblissant finirait par la tuer, et non moins les autres qui avaient toujours soutenu qu’elle souffrait d’une maladie non pas imaginaire mais organique, à l’évidence de laquelle les sceptiques seraient bien obligés de se rendre quand elle y aurait succombé ; et ne causant par sa mort de grande douleur qu’à un seul être, mais à celui-là, sauvage. Pendant les quinze jours que dura la dernière maladie de ma tante, Françoise ne la quitta pas un instant, ne se