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blancs boutons, avait rendu cette décoration digne de ce qui était à la fois une réjouissance populaire et une solennité mystique. Plus haut s’ouvraient leurs corolles çà et là avec une grâce insouciante, retenant si négligemment comme un dernier et vaporeux atour le bouquet d’étamines, fines comme des fils de la Vierge, qui les embrumait tout entières, qu’en suivant, qu’en essayant de mimer au fond de moi le geste de leur efflorescence, je l’imaginais comme si ç’avait été le mouvement de tête étourdi et rapide, au regard coquet, aux pupilles diminuées, d’une blanche jeune fille, distraite et vive. M. Vinteuil était venu avec sa fille se placer à côté de nous. D’une bonne famille, il avait été le professeur de piano des sœurs de ma grand’mère et quand, après la mort de sa femme et un héritage qu’il avait fait, il s’était retiré auprès de Combray, on le recevait souvent à la maison. Mais d’une pudibonderie excessive, il cessa de venir pour ne pas rencontrer Swann qui avait fait ce qu’il appelait « un mariage déplacé, dans le goût du jour ». Ma mère, ayant appris qu’il composait, lui avait dit par amabilité que, quand elle irait le voir, il faudrait qu’il lui fît entendre quelque chose de lui. M. Vinteuil en aurait eu beaucoup de joie, mais il poussait la politesse et la bonté jusqu’à de tels scrupules que, se mettant toujours à la place des autres, il craignait de les ennuyer et de leur paraître égoïste s’il suivait ou seulement laissait deviner son désir. Le jour où mes parents étaient allés chez lui en visite, je les avais accompagnés, mais ils m’avaient permis de rester dehors, et comme la maison de M. Vinteuil, Montjouvain, était en contre-bas d’un monticule buissonneux, où je m’étais caché, je m’étais trouvé de plain-pied avec le salon du second étage, à cinquante centimètres de la fenêtre. Quand on était venu lui annoncer mes parents,