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de s’asseoir. Ces dîners, ces goûters que sa participation nous rendait mystérieux et qui nous éloignaient tant d’elle, que nous essayions d’imaginer comme des actes de sa vie qui nous la dérobaient, deviennent des dîners, des goûters où nous sommes invités, dont nous sommes l’invité de marque, à qui ils sont, convives, menus, jour, soumis. Les amies, ces amies qui nous semblaient exciter en elle des affections particulières que nous ne pourrions jamais exciter, ces amies avec lesquelles il nous semblait qu’elle devait nous railler, on nous préfère à elles, on nous réunit à elles, les mystérieuses promenades, les conciliabules hostiles, nous en faisons partie. Nous sommes l’un des amis, le plus aimé, le plus admiré. Le concierge mystérieux nous salue, la chambre aperçue du dehors, on nous invite à l’habiter. Cet amour que nous éprouvions, nous l’inspirons, cette jalousie que les amis nous faisaient ressentir nous l’excitons chez eux, cette influence des parents, ils disent que c’est nous qui l’avons, les vacances affreuses, on les passera où nous irons. Et un jour viendra où cet accès inespéré dans la vie de toutes, la fille de la poste, la marquise, la Rochemuroise, la Cabourgeoise, ne nous paraîtra plus qu’une carte dont nous ne nous servirons jamais  ; qui sait, nous nous en exclurons volontairement à tout jamais par une brouille.

Toute cette vie impénétrable nous la pénétrons, nous la possédons. Ce n’est plus que des repas, des