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chose dont nous ne pouvons douter. Au moment où cette chose, essence commune de nos impressions est perçue par nous, nous éprouvons un plaisir que rien n’égale, pendant lequel nous savons que la mort n’a aucune espèce d’importance. Et après avoir lu des pages où les pensées les plus hautes et les plus beaux sentiments sont exprimés, et avoir dit «  ce n’est pas mal  », si tout d’un coup, sans que nous comprenions d’ailleurs pourquoi, dans un mot assez indifférent en apparence, un grain de cette essence nous est donné à respirer, nous savons que c’est cela qui est beau.

 

C’est un grand plaisir, le jour où cet inconnu désiré, qui nous dépassait de tout côté, devient connu, possédé, que c’est nous qui le dépassons. Toutes ces habitudes, cette maison où nous rêvions de nous frayer un chemin, cela tient dans notre main, nous est remis. Nous entrons comme dans un moulin dans le temple inaccessible. Les parents de la jeune fille qui nous semblaient des divinités implacables, nous barrant plus souvent la route que les dieux de l’enfer, sont changés en Euménides bienveillantes, qui nous invitent à venir la voir, à dîner, à lui apprendre la littérature, comme dans l’hallucination de ce fou de Huxley, qui voyait, là où il aurait vu un mur de prison, à la même place une vieille dame bienveillante qui lui disait