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ler  ! Les jours sans soleil, qui sont comme nus, ont une crudité qui donne plus envie de goûter à la journée, de mordre à même la nature  ; jours qu’on appelle ternes et gris, où, sans que le soleil ait paru, les gens qui passent semblent pris comme une pêcherie de harengs dans une trame d’argent dont l’éclat blesse les yeux  : pourtant avec quel plaisir nous avons senti sur la fenêtre la palpitation d’un rayon qui n’avait pas encore brillé, comme si nous auscultions le cœur incertain de cet après-midi dont nous consultons dans le ciel le sourire nuageux.

L’avenue est vilaine en face la fenêtre  ; entre les arbres dépouillés par l’automne, on voit ce mur qu’on a repeint d’un rose trop vif et sur lequel on a collé des affiches jaunes et bleues. Mais le rayon a brillé, il enflamme toutes ces couleurs, les unit, et du rouge des arbres, du rose du mur, du jaune et du bleu des affiches et du ciel bleu qui se découvre dessus entre deux nuages, il édifie pour les yeux un palais aussi enchanté, d’une irisation aussi délicieuse pour l’œil, de teintes aussi ardentes, que Venise.

Aussi n’était-ce pas rien qu’en décrivant les dessins des reflets du balcon que je pouvais rendre l’impression que me causait ce rayon de soleil pendant que Françoise coiffait Maman. Cette impression pourrait naturellement se rendre par un dessin, une chose tracée sur un plan  ; car ce