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traîne vers Brest et dont l’autre me ramène vers mon lit, la première me représente finissant de boire après déjeuner une tasse de café bouillant, tandis qu’un marin m’attend pour me conduire voir la tempête sur les rochers, il fait un peu de soleil  ; l’autre me représente au moment où tout le monde se couche et où il me faut monter à une chambre inconnue, me coucher dans des draps humides, et savoir que je ne verrai pas Maman.

À ce moment, je vis palpiter sur l’appui de la fenêtre une pulsation sans couleur ni lumière, mais à tout moment enflée et grandissante, et qu’on sentait qui allait devenir un rayon de soleil. Et en effet au bout d’un instant l’appui de la fenêtre fut à demi envahi, puis avec une courte hésitation, un timide recul, entièrement inondé d’une lumière pâle sur laquelle flottaient les ombres un peu frustes du treillis de fer ouvragé du balcon. Un souffle les dispersa, mais déjà apprivoisées elles revinrent, puis sous mes yeux je vis cette lumière sur l’appui de la fenêtre croître d’intensité, par une progression rapide mais incessante et soutenue, comme cette note de musique sur laquelle finit souvent une ouverture. Elle a commencé si faible qu’on a perçu son crescendo avant de l’avoir elle-même entendue, puis elle grandit, grandit, et traverse avec une telle rapidité et sans faiblir