Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/71

Cette page n’a pas encore été corrigée

quand, ramenant mon regard sur Le Figaro que Maman lit pour voir si je n’aurais rien pu supprimer, il tombe sur un article que je n’avais pas remarqué  : La Tempête  : Brest. Le vent souffle en tempête depuis hier soir, les amarres du port ont été brisées, etc. La vue d’une carte d’invitation pour un premier bal où elle voudrait être invitée ne surexcite pas plus le désir d’une jeune fille que la vue de ces mots  : La tempête. Elle donne à l’objet de mon désir sa forme, sa réalité. Et le coup au cœur que me donnent ces mots est douloureux, car, en même temps que le désir du départ, c’est l’anxiété du voyage qui depuis des années empêche au dernier moment tous les départs.

– Maman, il y a une tempête, j’ai bien envie de profiter de ce que je suis levé pour partir à Brest.

Maman tourne la tête vers Félicie qui rit  :

– Félicie, qu’est-ce que je vous avais dit  ! Si M. Marcel voit qu’il y a une tempête, il va vouloir partir.

Félicie regarde avec admiration Maman, qui devine toujours tout. De plus elle a à nous voir l’un près de l’autre, et moi embrassant Maman de temps en temps, un attendrissement causé par cette scène familiale qui, je le sens, agace un peu Maman, si bien qu’elle finit par lui dire que ses cheveux sont bien maintenant, qu’elle finira de se coiffer seule. Je suis toujours anxieux, deux images se disputent ma pensée dont l’une m’en-