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du mérite qu’ils supposent à quelqu’un qui a pu écrire tant de choses qu’ils ne comprennent point. Il y a une personne à qui cela donnera de moi l’idée queje désire tant qu’elle ait  ; cet article qu’elle ne comprendra pas est de son fait même une louange explicite qu’elle entendra de moi. Hélas, la louange de quelqu’un qu’elle n’aime pas n’enchantera pas plus son cœur que des mots pleins d’idées qui ne sont pas en elle n’enchaîneront son esprit.

Voyons, j’allais embrasser Maman avant de me recoucher et de m’endormir et lui demander ce qu’elle pensait de l’article  ! Et déjà j’étais impatient, ne pouvant vérifier par l’expérimentation si les dix mille lecteurs du Figaro l’auraient lu et aimé, de pratiquer quelques sondages dans les gens que je connaissais. C’était le jour de Maman, peut-être on lui en parlerait.

Avant d’aller lui dire adieu, j’allai fermer les rideaux. Maintenant sous le ciel rose on sentait que le soleil s’était formé et que par sa propre élasticité, il allait jaillir. Ce ciel rose me donnait un grand désir de voyage, car je l’avais vu souvent par les carreaux du wagon, après une nuit où j’avais dormi non pas comme ici dans l’entouffement des choses renfermées et immobilisées sur moi, mais au milieu de mouvement, emporté moi-même, comme