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neveux. Il me semblait que si j’avais pu les connaître j’aurais goûté en eux un peu de cette essence qui était elle. Ils semblaient toutes les esquisses différentes faites d’après un même visage commun à toute la race.

Quand au détour d’une rue je reconnaissais venant dans ma direction les favoris blonds de son maître d’hôtel qui lui parlait, qui la voyait déjeuner, qui était comme de ses amis, j’avais un triple coup au cœur, comme si de lui aussi j’avais été amoureux.

Ces matinées, ces jours n’étaient que des sortes de fils de perles qui la rattachaient aux plaisirs les plus élégants qu’il y eût alors  ; dans cette robe bleue après cette promenade, elle repartait déjeuner chez la duchesse de Mortagne  ; à la fin du jour, quand on reçoit aux lumières, elle allait chez la princesse d’Aleriouvres, chez Mme de Bruyvres, et après le dîner, quand sa voiture l’attendait et qu’elle y introduisait un frémissement opalin de soie, de regard et de perles, elle partait chez la duchesse de Rouen ou la comtesse de Dreux. Plus tard, quand ces mêmes personnes furent devenues pour moi des personnes ennuyeuses, où je ne tenais plus à aller, et que je vis qu’il en était de même pour elle, sa vie perdit de son mystère et souvent elle préféra rester avec moi à causer, plutôt que nous allions dans ces fêtes, où alors je me figurais qu’elle devait seulement être elle-même, le reste de ce que je voyais n’étant qu’une sorte de coulisse