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cil, le même sourire prêt à poindre dans les yeux, le même commencement de moue dans le seul coin de bouche qu’on voit – et tout cela aussi arbitrairement découpé dans le visage et dans la succession des expressions possibles, aussi partiel, aussi momentané, aussi immuable que si c’était un dessin fixant une expression et qui ne peut plus changer – cela c’est pour nous la personne, les premiers jours. Et puis c’est une autre expression, un autre visage les jours qui suivent  : l’opposition du noir des cheveux et de la pâleur de la joue qui le constituait presque entièrement au début, nous n’en tenons plus aucun compte ensuite. Et ce n’est plus la gaîté d’un œil moqueur, mais la douceur d’un regard timide.

L’amour qu’elle m’inspirait augmentant l’idée de ce que sa noblesse avait de rare, son petit hôtel au fond de notre cour m’apparaissait comme inaccessible et on m’aurait dit qu’une loi de la nature empêchait tout roturier comme moi de pénétrer jamais dans sa maison aussi bien que de voler au milieu des nuages que je n’aurais pas été extrêmement étonné. J’étais à l’heureux temps où on ne connaît pas la vie, où les êtres et les choses ne sont pas rangés pour nous dans des catégories communes, mais où les noms les différencient, leur imposent quelque chose de leur particularité. J’étais un peu comme notre Françoise, qui croyait que, entre le titre de marquise de la belle-mère de la comtesse et l’espèce de véranda appelée mar-