Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/46

Cette page n’a pas encore été corrigée

été possible de venir plus tôt, avec toute la bonne volonté  » et en jetant un joli regard violet sur toute la série d’empêchements qui s’étaient dressés, et sur lesquels elle se taisait en personne bien élevée, qui n’aime pas parler de soi.

Notre appartement étant dans une seconde cour donnait sur celui de la comtesse. Quand je pense aujourd’hui à la comtesse, je me rends compte qu’elle contenait une espèce de charme, mais qu’il suffisait de causer avec elle pour qu’il se dissipât, et qu’elle n’en avait aucunement conscience. Elle était une de ces personnes qui ont une petite lampe magique, mais dont elles ne connaîtront jamais la lumière. Et quand on fait leur connaissance, quand on cause avec eux, on devient comme eux, on ne voit plus la mystérieuse lumière, le petit charme, la petite couleur, ils perdent toute poésie. Il faut cesser de les connaître, les revoir tout d’un coup dans le passé, comme quand on ne les connaissait pas, pour que la petite lumière se rallume, pour que la sensation de poésie se produise. Il semble qu’il en soit ainsi des objets, des pays, des chagrins, des amours. Ceux qui les possèdent n’en aperçoivent pas la poésie. Elle n’éclaire qu’au loin. C’est ce qui rend la vie si décevante pour ceux qui ont la faculté de voir la petite lumière poétique. Si nous songeons aux personnes que nous avons eu envie de connaître, nous sommes forcés de nous avouer qu’alors il y avait un bel inconnu dont nous avons cherché à faire la connaissance, et qui à ce