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femmes, j’ai aimé d’autres pays. Le charme des promenades est resté attaché moins à la présence de celle que j’aimais, qui me devenait vite si douloureuse, par la peur de l’ennuyer et de lui déplaire, que je ne la prolongeais pas, qu’à l’espoir d’aller vers elle, où je ne restais que sous le prétexte de quelque nécessité et avec l’espoir d’être prié de revenir avec elle. Ainsi un pays était suspendu à un visage. Peut-être ainsi ce visage était-il suspendu à un pays. Dans l’idée que je me faisais de son charme, le pays qu’il habitait, qu’il me ferait aimer, où il m’aiderait à vivre, qu’il partagerait avec moi, où il me ferait trouver de la joie, était un des éléments même du charme, de l’espoir de vie, était dans le désir d’aimer. Ainsi au fond d’un paysage palpitait le charme d’un être. Ainsi dans un être tout un paysage mettait sa poésie. Ainsi chacun de mes étés eut le visage, la forme d’un être et la forme d’un pays, plutôt la forme d’un même rêve qui était le désir d’un être et d’un pays que je mêlais vite  ; des quenouilles de fleurs rouges et bleues dépassant d’un mur ensoleillé, avec des feuilles luisantes d’humidité, étaient la signature à quoi étaient reconnaissables tous mes désirs de nature, une année  ; la suivante ce fut un triste lac le matin, sous la brume. L’une après l’autre, et ceux que je tâchai de conduire dans de tels pays, ou pour rester près desquels je renonçai à y aller, ou dont je devenais amoureux parce que j’avais cru – souvent inexactement, mais