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un coin du rideau. Dans une flaque d’or, suivies de leur institutrice, se rendant au catéchisme ou au cours, ayant épuré de leur souple démarche tout mouvement involontaire, je voyais passer de ces jeunes filles, pétries dans une chair précieuse, qui semblent faire partie d’une petite société impénétrable, ne pas voir le peuple vulgaire au milieu duquel elles passent, si ce n’est pour en rire sans se gêner, avec une insolence qui leur semble l’affirmation de leur supériorité. Jeunes filles qui semblent dans un regard mettre entre elles et vous cette distance que leur beauté rend douloureuse  ; jeunes filles non pas de l’aristocratie, car les cruelles distances de l’argent, du luxe, de l’élégance ne sont nulle part supprimées aussi complètement que dans l’aristocratie. Elle peut rechercher par plaisir les richesses mais n’y attribue aucune valeur et les met sans façon et sincèrement sur le même pied que notre gaucherie et notre pauvreté. Jeunes filles non du monde de l’intelligence, car il pourrait y avoir avec elles d’autres divins plain-pieds. Jeunes filles pas même du monde de la pure finance, car elle révère ce qu’elle souhaite d’acheter, est encore plus près du travail et de la considération. Non, jeunes filles élevées dans ce monde qui peut mettre entre lui et vous la distance la plus grande et la plus cruelle, coterie du monde de l’argent, qui à la faveur de la jolie tournure de la femme ou de la frivolité du mari commence à frayer dans les chasses avec l’aristocratie, cher-