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jour, clairsemés comme les gouttes d’une pluie matinale, j’aurais voulu goûter le plaisir de ceux qui partent en excursion avant le jour, sont exacts au rendez-vous dans la cour d’un petit hôtel de province et qui battent la semelle en attendant que la voiture soit attelée, assez fiers de montrer à ceux qui n’avaient pas cru à leur promesse de la veille qu’ils s’étaient réveillés à temps. On aura beau temps. Par les beaux jours d’été le sommeil de l’après-midi a le charme d’une sieste.

Qu’importait que je fusse couché, les rideaux fermés  ! À une seule de ses manifestations de lumière ou d’odeur, je savais que l’heure était, non pas dans mon imagination, mais dans la réalité présente du temps, avec toutes les possibilités de vie qu’elle offrait aux hommes, non pas une heure rêvée, mais une réalité à laquelle je participais, comme un degré de plus ajouté à la vérité des plaisirs.

Je ne sortais pas, je ne déjeunais pas, je ne quittais pas Paris. Mais quand l’air onctueux d’une matinée d’été avait fini de vernir et d’isoler les simples odeurs de mon lavabo et de mon armoire à glace, et qu’elles reposaient, immobiles et distinctes dans un clair-obscur nacré qu’achevait de « glacer  » le reflet des grands rideaux de soie bleue, je savais qu’en ce moment des collégiens comme j’étais encore il y a quelques années, des «  hommes occupés  » comme je pourrais être, descendaient de