Page:Proust - Contre Sainte-Beuve, 1954.djvu/33

Cette page n’a pas encore été corrigée

s’il pleuvait, et ôtait son chapeau s’il faisait beau. S’il fait beau, mes volets ont beau être hermétiquement fermés, mes yeux peuvent être clos une crise terrible causée précisément par le beau temps, par une jolie brume mêlée de soleil qui me fait râler, peut m’ôter à force de souffrance presque la connaissance, m’ôter toute possibilité de parler, je ne peux plus rien dire, je ne pense plus à rien, même le désir que la pluie mette fin à ma crise, je n’ai plus la force de me le formuler. Alors, dans ce grand silence de tout, que domine le bruit de mes râles, j’entends tout au fond de moi une petite voix gaie qui dit  : il fait beau – il fait beau –, des larmes de souffrance me tombent des yeux, je ne peux pas parler, mais si je pouvais retrouver un instant le souffle, je chanterais, et le petit capucin d’opticien, qui est la seule chose que je suis resté, ôte son chapeau et annonce le soleil.

Aussi quand je pris plus tard l’habitude de rester levé toute la nuit et de rester couché toute la journée, je la sentais près de moi sans la voir, en un appétit d’autant plus vif d’elle et de la vie, que je ne pouvais le satisfaire. Dès les premiers pâles sons des cloches, à peine blanchissants, de l’angélus du matin, qui passent dans l’air, faibles et rapides, comme la brise qui précède la levée du