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un peu d’eau stagne encore çà et là au creux de la pierre des bénitiers.

Et le temps qu’il fait n’a même pas plus besoin que de la couleur du jour de la sonorité des bruits de la rue pour se révéler à moi et m’appeler vers la saison et le climat dont il semble envoyé. À sentir le calme et la lenteur de communications et d’échanges qui règnent dans la petite cité intérieure de nerfs et de vaisseaux que je porte en moi, je sais qu’il pleut, et je voudrais être à Bruges où, près du four rouge comme un soleil d’hiver, les gélines, les poules d’eau, le cochon cuiraient pour mon déjeuner comme dans un tableau de Breughel.

Si déjà à travers mon sommeil, j’ai senti tout ce petit peuple de mes nerfs actif et réveillé bien avant moi, je me frotte les yeux, je regarde l’heure pour voir si j’aurais le temps d’arriver à Amiens, pour voir près de la Somme gelée sa cathédrale, ses statues abritées du vent par les corniches adossées à son mur d’or y dessiner au soleil de midi toute une vigne d’ombre.

Mais les jours de brume, je voudrais m’éveiller pour la première fois dans un château que je n’aurais vu qu’à la nuit, me lever tard, et grelottant dans ma chemise de nuit, revenant gaîment me brûler près du grand feu dans la cheminée, près duquel le soleil glacé d’hiver vient se chauffer sur le tapis, je verrais par la fenêtre un espace que je ne connais pas, et entre les ailes du château