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tion colorée et légère, dans l’atmosphère où le vent fait courir ses ruisseaux, ou s’il perce avec la vrille d’un fifre la glace bleue d’un temps ensoleillé et froid.

Les premiers bruits de la rue m’apportent l’ennui de la pluie où ils se morfondent, la lumière de l’air glacé où ils vibrent, l’abattement du brouillard qui les éteint, la douceur et les bouffées d’un jour tempétueux et tiède, où l’ondée légère ne les mouille qu’à peine, vite essuyée d’un souffle ou séchée d’un rayon.

Ces jours-là, surtout si le vent fait entendre dans la cheminée un irrésistible appel, qui me fait plus battre le cœur qu’à une jeune fille le roulement des voitures allant au bal où elle n’est pas invitée, le bruit de l’orchestre arrivant par la fenêtre ouverte, je voudrais avoir passé la nuit en chemin de fer, arriver au petit jour dans quelque ville de Normandie, Caudebec ou Bayeux, qui m’apparaît sous son nom et son clocher anciens comme sous sa coiffe traditionnelle de la paysanne cauchoise ou son bonnet de dentelle de la reine Mathilde, et partir aussitôt en promenade, au bord de la mer en tempête, jusqu’à l’église des pêcheurs, moralement protégée des flots qui semblent ruisseler encore dans la transparence des vitraux où ils soulèvent la flotte d’azur et de pourpre de Guillaume et des guerriers, et s’être écartés pour réserver entre leur houle circulaire et verte cette crypte sous-marine de silence étouffé et d’humidité, où