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un temps au milieu des autres. Songe qu’elles s’élevèrent, les tours de Guermantes, dressant indestructiblement le XIIIe siècle là, à une époque où, si loin que leur vue eût porté, elles n’eussent pas aperçu pour les saluer et leur sourire, les tours de Chartres, les tours d’Amiens, les tours de Paris qui n’existaient pas encore. Plus ancienne qu’elles, songe à cette chose immatérielle, l’abbaye de Guermantes, plus ancienne que ces constructions, qui existait depuis bien longtemps, quand Guillaume partit à la conquête de l’Angleterre, alors que les tours de Beauvais, de Bourges ne se dressaient pas encore et que le soir le voyageur qui s’éloignait ne les voyait pas au-dessus des collines de Beauvais se dresser sur le ciel, à une époque où les maisons de La Rochefoucauld, de Noailles, d’Uzès, élevaient à peine au-dessus de terre leur puissance qui devait, comme une tour, monter peu à peu dans les airs, traverser un à un les siècles, alors que, tour de beurre de la grasse Normandie, Harcourt au nom fier et jaunissant n’avait pas encore au sommet de sa tour de granit ciselé les sept fleurons de la couronne ducale, alors que, bastion à l’italienne qui devait devenir le plus grand château de France, Luynes n’avait pas encore fait jaillir de notre sol toutes ces seigneuries, tous ces châteaux de prince et tous ces châteaux forts, la princerie de Joinville, les remparts crénelés de Châteaudun et de Montfort, les ombrages du bois de Chevreuse avec ses hermines et ses biches, tous