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particularités plus secrètes le hantait. Il s’éprit d’une fille de haute naissance qu’il épousa et pendant quinze ans ses désirs furent tous contenus dans le désir d’elle, comme une eau profonde dans une piscine azurée. Il s’émerveillait comme l’ancien dyspeptique qui, pendant vingt ans, n’a pu prendre que du lait et qui déjeune et dîne tous les jours au Café Anglais, comme le paresseux devenu travailleur, comme l’ivrogne guéri. Elle mourut et de savoir qu’il connaissait le remède au mal lui donna moins de craintes d’y retourner. Et peu à peu, il devenait semblable à ceux qui lui avaient inspiré le plus de dégoût. Mais sa situation le préservait un peu. Il s’arrêtait un moment devant le lycée Condorcet en allant au club, puis se consolait en pensant que c’était sur son bateau que le duc de Parme et le grand-duc de Gênes iraient à C…, parce qu’il n’y avait tout de même pas de grand seigneur français qui eût une situation aussi grande que la sienne, et que probablement à cause de cela le roi d’Angleterre viendrait y déjeuner.