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lui offre, d’y vaporiser ses parfums et d’y accorder ses sonorités, et jusque-là je sais ce qu’on peut souffrir les premiers soirs, tant que notre âme est isolée et qu’il lui faut accepter la couleur du fauteuil, le tic-tac de la pendule, l’odeur du couvre-pied et essayer sans y parvenir, en se distendant, en s’allongeant et en se rétrécissant, de prendre la forme d’une chambre pyramidale. Mais alors, si je suis dans cette chambre et convalescent, maman couche près de moi  ! Je n’entends pas le bruit de sa respiration, ni non plus le bruit de la mer… Mais déjà mon corps a évoqué une autre attitude  : il n’est plus couché, mais assis. Où çà  ? Dans un fauteuil d’osier dans le jardin d’Auteuil. Non, il fait trop chaud  : dans le salon du cercle de jeu d’Evian, où on aura éteint sans s’apercevoir que je m’y étais endormi… Mais les murs se rapprochent, mon fauteuil fait volte-face et s’adosse à la fenêtre. Je suis dans ma chambre au château de Réveillon. Je suis monté comme d’habitude me reposer avant le dîner  ; je me serais endormi dans mon fauteuil  ; le dîner est peut-être fini.

On ne m’en aurait pas voulu. Bien des années avaient passé depuis le temps où je vivais chez mes grands-parents. À Réveillon, on ne dînait qu’à neuf heures, en rentrant de la promenade, pour laquelle on partait à peu près au moment où au-