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non parce qu’on avait envie, mais parce que c’était l’heure, et où l’on marquait la volonté, l’acceptation et toute la cérémonie de dormir en montant par deux degrés jusqu’au grand lit, sur lequel on refermait les rideaux de reps bleu aux bandes de velours bleu frappé, et où la vieille médecine, quand on était malade, vous laissait plusieurs jours de suite la nuit avec une veilleuse sur la cheminée en marbre de Sienne, sans médicaments immoraux qui vous permettent de vous lever et de croire qu’on peut mener la vie d’un homme bien portant quand on est malade, suant sous les couvertures grâce à des tisanes bien innocentes, qui portent les fleurs et la sagesse des prés et des vieilles femmes depuis deux mille ans. C’est dans ce lit que mon côté se croyait couché, et vite il avait retrouvé ma pensée d’alors, celle qui apparaît la première au moment où il s’étire  : il était temps que je me lève et que j’allume la lampe pour apprendre une leçon avant de partir en classe, si je ne voulais pas être puni.

Mais une autre attitude venait à la mémoire de mon côté, mon corps tournait pour la prendre, le lit avait changé de direction, la chambre de forme  : c’était cette chambre si haute, si étroite, cette chambre en pyramide où j’étais venu finir ma convalescence à Dieppe, et à la forme de laquelle mon âme avait eu tant de peine à s’habituer, les deux premiers soirs. Car notre âme est obligée de remplir et de repeindre tout espace nouveau qu’on