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d’Illusions perdues, sur l’admirable scène dont j’ai parlé. Le caractère d’Eve, qui nous semble insignifiant, lui parait, dirait-on, une autre trouvaille. Mais tout cela peut tenir au hasard des lettres que nous avons, et même de celles qu’il écrivait.

Sainte-Beuve, avec Balzac, fait comme toujours. Au lieu de parler de la femme de trente ans de Balzac, il parle de la femme de trente ans en dehors de Balzac, et après quelques mots sur Balthazar Claës (de La Recherche de l’Absolu) il parle d’un Claës de la vie réelle qui a précisément laissé un ouvrage sur sa propre Recherche de l’Absolu, et donne de longues citations sur cet opuscule, naturellement sans valeur littéraire. Du haut de sa fausse et pernicieuse idée de dilettantisme littéraire, il juge à faux la sévérité de Balzac pour Steinbock de La Cousine Bette, simple amateur qui ne réalise pas, qui ne produit pas, qui ne comprend pas qu’il faut se donner tout entier à l’art pour être un artiste. Sainte-Beuve à ce propos s’élève avec une dignité froissée contre les expressions de Balzac qui dit  : «  Homère… vivait en concubinage avec la Muse.  » Le mot n’est peut-être pas très heureux. Mais en réalité, il ne peut y avoir d’interprétation des chefs-d’œuvre du passé que si on les considère du point de vue de celui qui les écrivait, et non du dehors, à une distance respectueuse, avec une déférence académique. Que les conditions extérieures de la production littéraire aient changé au cours du dernier siècle, que le métier d’homme de lettres