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comme une grotte merveilleuse, magique et multicolore dans son atmosphère spéciale.

La couleur de Sylvie, c’est une couleur pourpre, d’une rose pourpre en velours pourpre ou violacé, et nullement les tons aquarellés de leur France modérée. À tout moment ce rappel de rouge revient, tirs, foulards rouges, etc. Et ce nom lui-même pourpré de ses deux I – Sylvie, la vraie Fille du Feu. Pour moi qui pourrais les dénombrer, ces mystérieuses lois de la pensée que j’ai souvent souhaité d’exprimer et que je trouve exprimées dans Sylvie – j’en pourrais compter, je le crois, jusqu’à cinq et six – j’ai le droit de dire que quelque distance qu’une exécution parfaite – et qui est tout – met entre une simple velléité de l’esprit et un chef-d’œuvre, met entre les écrivains dits en dérision penseurs et Gérard, c’est eux qui peuvent pourtant se réclamer de lui plutôt que ceux à qui la perfection de l’exécution n’est pas difficile, puisqu’ils n’exécutent rien du tout. Certes, le tableau présenté par Gérard est délicieusement simple. Et c’est la fortune unique de son génie. Ces sensations si subjectives, si nous disons seulement la chose qui les provoque, nous ne rendons pas précisément ce qui donne du prix à nos yeux. Mais aussi, si nous essayons en analysant notre impression de rendre ce qu’elle a de subjectif, nous faisons évanouir l’image et le tableau. De sorte que par désespoir nous alimentons encore mieux nos rêveries avec ce qui nomme notre