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ministre de l’Intérieur et des Cultes  : «  Vous verrez…  » (Vives protestations à droite, salves d’applaudissements à gauche, rumeur prolongée.)  » et dans la composition desquelles l’indication qui la précède, et les marques d’émotion qui la suivent, entrent pour une partie aussi intégrante que les mots prononcés en réalité. À «  vous verrez  », la phrase n’est nullement finie, elle commence à peine et «  vives protestations à droite, etc.  » est sa fin, plus belle que son milieu, digne de son début. Ainsi la beauté journalistique n’est pas tout entière dans l’article  ; détachée des esprits où elle s’achève, ce n’est qu’une Vénus brisée. Et comme c’est de la foule (cette foule fût-elle une élite) qu’elle reçoit son expression dernière, cette expression est toujours un peu vulgaire. C’est aux silences de l’approbation imaginée de tel ou tel lecteur que le journaliste pèse ses mots et trouve leur équilibre avec sa pensée. Aussi son œuvre, écrite avec l’inconsciente collaboration des autres, est-elle moins personnelle.

Comme tout à l’heure nous voyions Sainte-Beuve croire que la vie des salons, qui lui plaisait, était indispensable à la littérature et la projetait à travers les siècles, ici cour de Louis XIV, là cercle choisi du Directoire, de même ce créateur de toute la semaine, souvent même qui ne s’est pas reposé le dimanche et reçoit son salaire de gloire le lundi par le plaisir qu’il cause à de bons juges et les coups qu’il inflige aux méchants, conçoit toute la