Page:Proust - Albertine disparue.djvu/290

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

éveiller d’impressions mélancoliques chez la fille et la veuve de Swann, chez la mère de Robert prête à se séparer de son fils, et auxquelles ma mère par bonté, par sympathie à cause de leur bonté pour moi, prêtait sa propre émotivité filiale, conjugale, et maternelle. « Avais-je raison de te dire que tu ne trouverais rien de plus étonnant ? lui dis-je. — Hé bien si ! répondit-elle d’une voix douce, c’est moi qui détiens la nouvelle la plus extraordinaire, je ne te dirai pas la plus grande, la plus petite, car cette situation de Sévigné faite par tous les gens qui ne savent que cela d’elle écœurait ta grand’mère autant que « la jolie chose que c’est de fumer ». Nous ne daignons pas ramasser ce Sévigné de tout le monde. Cette lettre-ci m’annonce le mariage du petit Cambremer. — Tiens ! dis-je avec indifférence, avec qui ? Mais en tous cas la personnalité du fiancé ôte déjà à ce mariage tout caractère sensationnel. — À moins que celle de la fiancée ne le lui donne. — Et qui est cette fiancée ? — Ah ! si je te dis tout de suite il n’y a pas de mérite, voyons, cherche un peu », me dit ma mère qui, voyant qu’on n’était pas encore à Turin, voulait me laisser un peu de pain sur la planche et une poire pour la soif. « Mais comment veux-tu que je sache ? Est-ce avec quelqu’un de brillant ? Si Legrandin et sa sœur sont contents, nous pouvons être sûrs que c’est un mariage brillant. — Legrandin, je ne sais pas, mais la personne qui m’annonce le mariage dit que Mme  de Cambremer est ravie. Je ne sais pas si tu appelleras cela un mariage brillant. Moi, cela me fait l’effet d’un mariage du temps où les rois épousaient les bergères, et encore la bergère est-elle moins qu’une bergère, mais d’ailleurs charmante. Cela eût stupéfié ta grand’mère et ne lui eût pas déplu. — Mais enfin qui est-ce cette fiancée ? — C’est Mlle  d’Oloron. — Cela m’a l’air immense et pas bergère du tout, mais je ne vois pas qui cela peut être. C’est un titre qui était dans la famille des Guermantes. —