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pas ignorée — mais certains que nous ne connaissons pas et que nous ne saurions où trouver. Et parmi toutes les raisons d’avoir avec nous une attitude inexplicable, il faut faire entrer ces singularités du caractère qui poussent un être, soit par négligence de son intérêt, soit par haine, soit par amour de la liberté, soit par de brusques impulsions de colère, ou par crainte de ce que penseront certaines personnes, à faire le contraire de ce que nous pensions. Et puis il y a les différences de milieu, d’éducation, auxquelles on ne veut pas croire parce que, quand on cause tous les deux, on les efface par les paroles, mais qui se retrouvent, quand on est seul, pour diriger les actes de chacun d’un point de vue si opposé qu’il n’y a pas de véritable rencontre possible. « Mais, ma petite Andrée, vous mentez encore. Rappelez-vous — vous-même me l’avez avoué — je vous ai téléphoné la veille, vous rappelez-vous, qu’Albertine avait tant voulu, et en me le cachant comme quelque chose que je ne devais pas savoir, aller à la matinée Verdurin où Mlle  Vinteuil devait venir. — Oui, mais Albertine ignorait absolument que Mlle  Vinteuil dût y venir. — Comment ? Vous-même m’avez dit que quelques jours avant elle avait rencontré Mme  Verdurin. D’ailleurs Andrée, inutile de nous tromper l’un l’autre. J’ai trouvé un papier un matin dans la chambre d’Albertine, un mot de Mme  Verdurin la pressant de venir à la matinée. » Et je lui montrai le mot qu’en effet Françoise s’était arrangée pour me faire voir en le plaçant tout au-dessus des affaires d’Albertine quelques jours avant son départ, et, je le crains, en le laissant là pour faire croire à Albertine que j’avais fouillé dans ses affaires, pour lui faire savoir en tous cas que j’avais vu ce papier. Et je m’étais souvent demandé si cette ruse de Françoise n’avait pas été pour beaucoup dans le départ d’Albertine qui, voyant qu’elle ne pouvait plus rien me cacher, se sentait découragée, vaincue. Je lui