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trouvé cela très bien. Il paraît qu’elle avait fait demander vers deux heures par un valet de pied si j’avais un jour. On lui a répondu que c’était justement aujourd’hui, et elle est montée. » Ma première idée, que je n’osai pas dire à maman, fut que la princesse de Parme, entourée la veille de personnes brillantes avec qui elle était très liée et avec qui elle aimait à causer, avait ressenti de voir entrer ma mère un dépit qu’elle n’avait pas cherché à dissimuler. Et c’était tout à fait dans le genre des grandes dames allemandes, qu’avaient, du reste, beaucoup adopté les Guermantes, cette morgue qu’on croyait réparer par une scrupuleuse amabilité. Mais ma mère crut, et j’ai cru ensuite comme elle, que tout simplement la princesse de Parme, ne l’avait pas reconnue, n’avait pas cru devoir s’occuper d’elle, qu’elle avait appris après le départ de ma mère qui elle était, soit par la duchesse de Guermantes que ma mère avait rencontrée en bas, soit par la liste des visiteuses auxquelles les huissiers avant qu’elles entrassent demandaient leur nom pour l’inscrire sur un registre. Elle avait trouvé peu aimable de faire dire ou de dire à ma mère : « Je ne vous ai pas reconnue », mais, ce qui n’était pas moins conforme à la politesse des cours allemandes et aux façons Guermantes que ma première version, avait pensé qu’une visite, chose exceptionnelle de la part de l’Altesse, et surtout une visite de plusieurs heures, fournirait à ma mère, sous une forme indirecte et tout aussi persuasive, cette explication, ce qui arriva en effet. Mais je ne m’attardai pas à demander à ma mère un récit de la visite de la princesse, car je venais de me rappeler plusieurs faits relatifs à Albertine sur lesquels je voulais et j’avais oublié d’interroger Andrée. Combien peu, d’ailleurs, je savais, je saurais jamais de cette histoire d’Albertine, la seule histoire qui m’eût particulièrement intéressé, du moins qui recommençait à m’intéresser à certains moments. Car l’homme est cet être sans âge fixe, cet