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et du second degré. Car M. Nissim Bernard ignorait lui-même ce qu’il pouvait entrer d’amour de la plage de Balbec, de la vue qu’on avait, du restaurant, sur la mer, et d’habitudes maniaques, dans le goût qu’il avait d’entretenir comme un rat d’opéra d’une autre sorte, à laquelle il manque encore un Degas, l’un de ses servants qui étaient encore des filles. Aussi M. Nissim Bernard entretenait-il avec le directeur de ce théâtre qu’était l’hôtel de Balbec, et avec le metteur en scène et régisseur Aimé — desquels le rôle en toute cette affaire n’était pas des plus limpides — d’excellentes relations. On intriguerait un jour pour obtenir un grand rôle, peut-être une place de maître d’hôtel. En attendant, le plaisir de M. Nissim Bernard, si poétique et calmement contemplatif qu’il fût, avait un peu le caractère de ces hommes à femmes qui savent toujours — Swann jadis, par exemple — qu’en allant dans le monde ils vont retrouver leur maîtresse. À peine M. Nissim Bernard serait-il assis qu’il verrait l’objet de ses vœux s’avancer sur la scène portant à la main des fruits ou des cigares sur un plateau. Aussi tous les matins, après avoir embrassé sa nièce, s’être inquiété des travaux de mon ami Bloch et donné à manger à ses chevaux des morceaux de sucre posés dans sa paume tendue, avait-il une hâte fébrile d’arriver pour le déjeuner au Grand-Hôtel. Il y eût eu le feu chez lui, sa nièce eût eu une attaque, qu’il fût sans doute parti tout de même. Aussi craignait-il comme la peste un rhume pour lequel il eût gardé le lit — car il était hypocondriaque — et qui eût nécessité qu’il fît demander à Aimé de lui envoyer chez lui, avant l’heure du goûter, son jeune ami.

Il aimait d’ailleurs tout le labyrinthe de couloirs, de cabinets secrets, de salons, de vestiaires, de garde-manger, de galeries qu’était l’hôtel de Balbec. Par atavisme d’Oriental il aimait les sérails et,