Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 9.djvu/269

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’eussent pas une idée suffisante des Cambremer. « Et comme le nom est joli, dis-je. On aimerait savoir l’origine de tous ces noms-là. — Pour celui-là je peux vous le dire, me répondit avec douceur la vieille dame. C’est une demeure de famille, de ma grand’mère Arrachepel, ce n’est pas une famille illustre, mais c’est une bonne et très ancienne famille de province. — Comment, pas illustre ? interrompit sèchement sa belle-fille. Tout un vitrail de la cathédrale de Bayeux est rempli par ses armes, et la principale église d’Avranches contient leurs monuments funéraires. Si ces vieux noms vous amusent, ajouta-t-elle, vous venez un an trop tard. Nous avions fait nommer à la cure de Criquetot, malgré toutes les difficultés qu’il y a à changer de diocèse, le doyen d’un pays où j’ai personnellement des terres, fort loin d’ici, à Combray, où le bon prêtre se sentait devenir neurasthénique. Malheureusement l’air de la mer n’a pas réussi à son grand âge ; sa neurasthénie s’est augmentée et il est retourné à Combray. Mais il s’est amusé, pendant qu’il était notre voisin, à aller consulter toutes les vieilles chartes, et il a fait une petite brochure assez curieuse sur les noms de la région. Cela l’a d’ailleurs mis en goût, car il paraît qu’il occupe ses dernières années à écrire un grand ouvrage sur Combray et ses environs. Je vais vous envoyer sa brochure sur les environs de Féterne. C’est un vrai travail de Bénédictin. Vous y lirez des choses très intéressantes sur notre vieille Raspelière dont ma belle-mère parle beaucoup trop modestement. — En tout cas, cette année, répondit Mme  de Cambremer douairière, la Raspelière n’est plus nôtre et ne m’appartient pas. Mais on sent que vous avez une nature de peintre ; vous devriez dessiner, et j’aimerais tant vous montrer Féterne qui est bien mieux que la Raspelière. » Car depuis que les Cambremer avaient loué cette dernière