raison, comme Françoise, aient tort aussi, pour faire de la Justice une chose impossible. Même les humbles plaisirs des servantes provoquent ou le refus ou la raillerie de leurs maîtres. Car c’est toujours un rien, mais niaisement sentimental, anti-hygiénique. Aussi peuvent-elles dire : « Comment, moi qui ne demande que cela dans l’année, on ne me l’accorde pas. » Et pourtant les maîtres accorderont beaucoup plus, qui ne fût pas stupide et dangereux pour elles — ou pour eux. Certes, à l’humilité de la pauvre femme de chambre, tremblante, prête à avouer ce qu’elle n’a pas commis, disant « je partirai ce soir s’il le faut », on ne peut pas résister. Mais il faut savoir aussi ne pas rester insensibles, malgré la banalité solennelle et menaçante des choses qu’elle dit, son héritage maternel et la dignité du « clos », devant une vieille cuisinière drapée dans une vie et une ascendance d’honneur, tenant le balai comme un sceptre, poussant son rôle au tragique, l’entrecoupant de pleurs, se redressant avec majesté. Ce jour-là je me rappelai ou j’imaginai de telles scènes, je les rapportai à notre vieille servante, et, depuis lors, malgré tout le mal qu’elle put faire à Albertine, j’aimai Françoise d’une affection, intermittente il est vrai, mais du genre le plus fort, celui qui a pour base la pitié.
Certes, je souffris toute la journée en restant devant la photographie de ma grand’mère. Elle me torturait. Moins pourtant que ne fit le soir la visite du directeur. Comme je lui parlais de ma grand’mère et qu’il me renouvelait ses condoléances, je l’entendis me dire (car il aimait employer les mots qu’il prononçait mal) : « C’est comme le jour où Madame votre grand’mère avait eu cette symecope, je voulais vous en avertir, parce qu’à cause de la clientèle, n’est-ce pas, cela aurait pu faire du tort à la maison. Il aurait mieux valu qu’elle parte le soir même.