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Portiques, « un peuple florissant » de jeunes chasseurs se tenait, surtout à l’heure du goûter, comme les jeunes Israélites des chœurs de Racine. Mais je ne crois pas qu’un seul eût pu fournir même la vague réponse que Joas trouve pour Athalie quand celle-ci demande au prince enfant : « Quel est donc votre emploi ? » car ils n’en avaient aucun. Tout au plus, si l’on avait demandé à n’importe lequel d’entre eux, comme la nouvelle Reine : « Mais tout ce peuple enfermé dans ce lieu, à quoi s’occupe-t-il ? », aurait-il pu dire : « Je vois l’ordre pompeux de ces cérémonies et j’y contribue. » Parfois un des jeunes figurants allait vers quelque personnage plus important, puis cette jeune beauté rentrait dans le chœur, et, à moins que ce ne fût l’instant d’une détente contemplative, tous entrelaçaient leurs évolutions inutiles, respectueuses, décoratives et quotidiennes. Car, sauf leur « jour de sortie », « loin du monde élevés » et ne franchissant pas le parvis, ils menaient la même existence ecclésiastique que les lévites dans Athalie, et devant cette « troupe jeune et fidèle » jouant aux pieds des degrés couverts de tapis magnifiques, je pouvais me demander si je pénétrais dans le grand hôtel de Balbec ou dans le temple de Salomon.

Je remontais directement à ma chambre. Mes pensées étaient habituellement attachées aux derniers jours de la maladie de ma grand’mère, à ces souffrances que je revivais, en les accroissant de cet élément, plus difficile encore à supporter que la souffrance même des autres et auxquelles il est ajouté par notre cruelle pitié ; quand nous croyons seulement recréer les douleurs d’un être cher, notre pitié les exagère ; mais peut-être est-ce elle qui est dans le vrai, plus que la conscience qu’ont de ces douleurs ceux qui les souffrent, et auxquels est cachée cette tristesse de leur vie, que la pitié, elle, voit, dont elle se désespère. Toutefois ma pitié eût