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fois avec l’air de satisfaction, soit de manifester son instruction relativement à une personnalité qu’il jugeait connue, soit de se conformer à un usage qu’il ignorait il y a cinq minutes, mais auquel il lui semblait qu’il était indispensable de ne pas manquer. Je comprenais très bien le charme que ce grand palace pouvait offrir à certaines personnes. Il était dressé comme un théâtre, et une nombreuse figuration l’animait jusque dans les plinthes. Bien que le client ne fût qu’une sorte de spectateur, il était mêlé perpétuellement au spectacle, non même comme dans ces théâtres où les acteurs jouent une scène dans la salle, mais comme si la vie du spectateur se déroulait au milieu des somptuosités de la scène. Le joueur de tennis pouvait rentrer en veston de flanelle blanche, le concierge s’était mis en habit bleu galonné d’argent pour lui donner ses lettres. Si ce joueur de tennis ne voulait pas monter à pied, il n’était pas moins mêlé aux acteurs en ayant à côté de lui pour faire monter l’ascenseur le lift aussi richement costumé. Les couloirs des étages dérobaient une fuite de caméristes et de couturières, belles sur la mer et jusqu’aux petites chambres desquelles les amateurs de la beauté féminine ancillaire arrivaient par de savants détours. En bas, c’était l’élément masculin qui dominait et faisait de cet hôtel, à cause de l’extrême et oisive jeunesse des serviteurs, comme une sorte de tragédie judéo-chrétienne ayant pris corps et perpétuellement représentée. Aussi ne pouvais-je m’empêcher de me dire à moi-même, en les voyant, non certes les vers de Racine qui m’étaient venus à l’esprit chez la princesse de Guermantes tandis que M. de Vaugoubert regardait de jeunes secrétaires d’ambassade saluant M. de Charlus, mais d’autres vers de Racine, cette fois-ci non plus d’Esther, mais d’Athalie : car dès le hall, ce qu’au xviie siècle on appelait les