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n’est plus elle-même, je crois que ce te sera plutôt pénible. Et je ne me rappelle pas le numéro exact de l’avenue. — Mais dis-moi, toi qui sais, ce n’est pas vrai que les morts ne vivent plus. Ce n’est pas vrai tout de même, malgré ce qu’on dit, puisque grand’mère existe encore. » Mon père sourit tristement : « Oh ! bien peu, tu sais, bien peu. Je crois que tu ferais mieux de n’y pas aller. Elle ne manque de rien. On vient tout mettre en ordre. — Mais elle est souvent seule ? — Oui, mais cela vaut mieux pour elle. Il vaut mieux qu’elle ne pense pas, cela ne pourrait que lui faire de la peine. Cela fait souvent de la peine de penser. Du reste, tu sais, elle est très éteinte. Je te laisserai l’indication précise pour que tu puisses y aller ; je ne vois pas ce que tu pourrais y faire et je ne crois pas que la garde te la laisserait voir. — Tu sais bien pourtant que je vivrai toujours près d’elle, cerfs, cerfs, Francis Jammes, fourchette. » Mais déjà j’avais retraversé le fleuve aux ténébreux méandres, j’étais remonté à la surface où s’ouvre le monde des vivants, aussi si je répétais encore : « Francis Jammes, cerfs, cerfs », la suite de ces mots ne m’offrait plus le sens limpide et la logique qu’ils exprimaient si naturellement pour moi il y a un instant encore, et que je ne pouvais plus me rappeler. Je ne comprenais plus même pourquoi le mot Aias, que m’avait dit tout à l’heure mon père, avait immédiatement signifié : « Prends garde d’avoir froid », sans aucun doute possible. J’avais oublié de fermer les volets, et sans doute le grand jour m’avait éveillé. Mais je ne pus supporter d’avoir sous les yeux ces flots de la mer que ma grand’mère pouvait autrefois contempler pendant des heures ; l’image nouvelle de leur beauté indifférente se complétait aussitôt par l’idée qu’elle ne les voyait pas ; j’aurais voulu boucher mes oreilles à leur bruit, car maintenant la plénitude lumineuse de la plage creusait un