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Sans doute rien ne rattachait d’une façon essentielle la femme de chambre de Mme Putbus au pays de Balbec ; elle n’y serait pas pour moi comme la paysanne que, seul sur la route de Méséglise, j’avais si souvent appelée en vain, de toute la force de mon désir.

Mais j’avais depuis longtemps cessé de chercher à extraire d’une femme comme la racine carrée de son inconnu, lequel ne résistait pas souvent à une simple présentation. Du moins à Balbec, où je n’étais pas allé depuis longtemps, j’aurais cet avantage, à défaut du rapport nécessaire qui n’existait pas entre le pays et cette femme, que le sentiment de la réalité n’y serait pas supprimé pour moi par l’habitude, comme à Paris où, soit dans ma propre maison, soit dans une chambre connue, le plaisir auprès d’une femme ne pouvait pas me donner un instant l’illusion, au milieu des choses quotidiennes, qu’il m’ouvrait accès à une nouvelle vie. (Car si l’habitude est une seconde nature, elle nous empêche de connaître la première, dont elle n’a ni les cruautés, ni les enchantements.) Or cette illusion, je l’aurais peut-être dans un pays nouveau où renaît la sensibilité, devant un rayon de soleil, et où justement achèverait de m’exalter la femme de chambre que je désirais : or on verra les circonstances faire non seulement que cette femme ne vint pas à Balbec, mais que je ne redoutai rien tant qu’elle y pût venir, de sorte que ce but principal de mon voyage ne fut ni atteint, ni même poursuivi. Certes Mme Putbus ne devait pas aller aussi tôt dans la saison chez les Verdurin ; mais ces plaisirs qu’on a choisis, peuvent être lointains, si leur venue est assurée, et que dans leur attente on puisse se livrer d’ici là à la paresse de chercher à plaire et à l’impuissance d’aimer. Au reste, à Balbec, je n’allais pas dans un esprit aussi pratique que la première fois ; il y a