Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 9.djvu/195

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elle me disait « salon Arpajon » je voyais un papillon jaune, et « salon Swann » (Mme  Swann était chez elle l’hiver de 6 à 7) un papillon noir aux ailes feutrées de neige. Encore ce dernier salon, qui n’en était pas un, elle le jugeait, bien qu’inaccessible pour elle, excusable pour moi, à cause des « gens d’esprit ». Mais Mme  de Luxembourg ! Si j’eusse déjà « produit » quelque chose qui eût été remarqué, elle eût conclu qu’une part de snobisme peut s’allier au talent. Et je mis le comble à sa déception ; je lui avouai que je n’allais pas chez Mme  de Montmorency (comme elle croyait) pour « prendre des notes » et « faire une étude ». Mme  de Guermantes ne se trompait, du reste, pas plus que les romanciers mondains qui analysent cruellement du dehors les actes d’un snob ou prétendu tel, mais ne se placent jamais à l’intérieur de celui-ci, à l’époque où fleurit dans l’imagination tout un printemps social. Moi-même, quand je voulus savoir quel si grand plaisir j’éprouvais à aller chez Mme  de Montmorency, je fus un peu désappointé. Elle habitait, dans le faubourg Saint-Germain, une vieille demeure remplie de pavillons que séparaient de petits jardins. Sous la voûte, une statuette, qu’on disait de Falconet, représentait une Source d’où, du reste, une humidité perpétuelle suintait. Un peu plus loin la concierge, toujours les yeux rouges, soit chagrin, soit neurasthénie, soit migraine, soit rhume, ne vous répondait jamais, vous faisait un geste vague indiquant que la duchesse était là et laissait tomber de ses paupières quelques gouttes au-dessus d’un bol rempli de « ne m’oubliez pas ». Le plaisir que j’avais à voir la statuette, parce qu’elle me faisait penser à un petit jardinier en plâtre qu’il y avait dans un jardin de Combray, n’était rien auprès de celui que me causait le grand escalier humide et sonore, plein d’échos, comme celui de certains établissements de bains