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et lança aux deux cousines ce mot où il faisait entrer, avec la détermination de ne pas renoncer à un plaisir, son incapacité d’assimiler exactement les tours de la langue française : « Il est mort ! Mais non, on exagère, on exagère ! » Et sans plus s’occuper des deux parentes qui, munies de leurs alpenstocks, allaient faire l’ascension dans la nuit, il se précipita aux nouvelles en interrogeant son valet de chambre : « Mon casque est bien arrivé ? — Oui, monsieur le duc. — Il y a bien un petit trou pour respirer ? Je n’ai pas envie d’être asphyxié, que diable ! — Oui, monsieur le duc. — Ah ! tonnerre de Dieu, c’est un soir de malheur. Oriane, j’ai oublié de demander à Babal si les souliers à la poulaine étaient pour vous ! — Mais, mon petit, puisque le costumier de l’Opéra-Comique est là, il nous le dira. Moi, je ne crois pas que ça puisse aller avec vos éperons. — Allons trouver le costumier, dit le duc. Adieu, mon petit, je vous dirais bien d’entrer avec nous pendant que nous essaierons, pour vous amuser. Mais nous causerions, il va être minuit et il faut que nous n’arrivions pas en retard pour que la fête soit complète. »

Moi aussi j’étais pressé de quitter M. et Mme de Guermantes au plus vite. Phèdre finissait vers onze heures et demie. Le temps de venir, Albertine devait être arrivée. J’allai droit à Françoise : « Mlle Albertine est là ? — Personne n’est venu. »

Mon Dieu, cela voulait-il dire que personne ne viendrait ! J’étais tourmenté, la visite d’Albertine me semblant maintenant d’autant plus désirable qu’elle était moins certaine.

Françoise était ennuyée aussi, mais pour une tout autre raison. Elle venait d’installer sa fille à table pour un succulent repas. Mais en m’entendant venir, voyant le temps lui manquer pour enlever les plats et disposer des aiguilles et du fil comme s’il s’agissait d’un ouvrage et non d’un souper : « Elle vient de