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et plus fortunés passer au-dessus de sa tête, ce plaisir délicat n’avait aucun rapport avec le ravissement dissimulé, mais éperdu, qu’éprouva aussitôt M. de Froberville.

Les efforts que faisait M. de Froberville pour qu’on n’entendît pas son rire l’avaient fait devenir rouge comme un coq, et malgré cela c’est en entrecoupant ses mots de hoquets de joie qu’il s’écria d’un ton miséricordieux : « Oh ! pauvre tante Saint-Euverte, elle va en faire une maladie ! Non ! la malheureuse femme ne va pas avoir sa duchesse ; quel coup ! mais il y a de quoi la faire crever ! » ajouta-t-il, en se tordant de rire. Et dans son ivresse il ne pouvait s’empêcher de faire des appels de pieds et de se frotter les mains. Souriant d’un œil et d’un seul coin de la bouche à M. de Froberville dont elle appréciait l’intention aimable, mais moins tolérable le mortel ennui, Mme  de Guermantes finit par se décider à le quitter. « Écoutez, je vais être obligée de vous dire bonsoir », lui dit-elle en se levant, d’un air de résignation mélancolique, et comme si ç’avait été pour elle un malheur. Sous l’incantation de ses yeux bleus, sa voix doucement musicale faisait penser à la plainte poétique d’une fée. « Basin veut que j’aille voir un peu Marie. »

En réalité, elle en avait assez d’entendre Froberville, lequel ne cessait plus de l’envier d’aller à Montfort-l’Amaury quand elle savait fort bien qu’il entendait parler de ces vitraux pour la première fois, et que, d’autre part, il n’eût pour rien au monde lâché la matinée Saint-Euverte. « Adieu, je vous ai à peine parlé ; c’est comme ça dans le monde, on ne se voit pas, on ne dit pas les choses qu’on voudrait se dire ; du reste, partout, c’est la même chose dans la vie. Espérons qu’après la mort ce sera mieux arrangé. Au moins on n’aura toujours pas besoin de se décolleter. Et encore qui sait ? On exhibera peut--